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Le mandataire ad hoc de sociétés placées en liquidation judiciaire ne peut se constituer partie civile

Pénal - Procédure pénale
09/07/2020
Dans un arrêt du 24 juin 2020, la Cour de cassation a tranché : seul le liquidateur judiciaire dispose de la faculté d’exercer l’action civile pour assurer les intérêts patrimoniaux du débiteur placé en liquidation judiciaire. Elle rappelle également la nécessité de motivation s’agissant d’une peine d’amende et du refus d’annulation d’un rapport d’expertise.
Une enquête préliminaire puis une information judiciaire sont ouvertes concernant les activités d’un ensemble de sociétés ayant pour activité principale la promotion immobilière. Une expertise comptable est ordonnée par le juge d’instruction. Un rapport est déposé.
 
L’expert-comptable du groupe de sociétés est mis en cause pour avoir émis des attestations faisant état d’apports en compte courant ne correspondant pas à la réalité. Il décide de saisir la chambre de l’instruction d’une requête tendant à l’annulation du rapport.
 
Renvoyé devant le tribunal correctionnel pour complicité de présentation de comptes inexacts, faux et complicité d’usage de faux, il est condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 100 000 euros d’amende et à réparer le préjudice de plusieurs parties civiles. L’expert-comptable, le procureur de la République et certaines parties civiles interjettent appel de cette décision.
 
La cour d’appel :
- refuse d’annuler le rapport d’expertise en rejetant le grief de partialité invoqué par l’expert-comptable ;
- condamne l’intéressé à la peine de 18 mois d’emprisonnement assortie du sursis simple et au versement de 100 000 euros d’amende ;
- et à réparer le préjudice de deux sociétés, placées en liquidation judiciaire, « leur préjudice, dont les premiers juges ont fait une juste appréciation, est en lien direct avec les faits reprochés au prévenu ».
 
L’intéressé forme un pourvoi en cassation. Il reproche aux juges du second degré de ne pas avoir suffisamment justifié le refus d’annulation du rapport d’expertise et le montant de l’amende et également d’avoir accepté l’action civile des sociétés représentées par leur mandataire ad hoc alors que seul le liquidateur judiciaire, qui reste en fonction tant que la clôture de la liquidation et la publication de jugement ne sont pas intervenues, peut agir pour défendre les droits propres des sociétés.
 
La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 juin 2020, décide de valider la position des juges du second degré s’agissant du rapport d’expertise mais censure l'arrêt sur la motivation de la peine et les constitutions des parties civiles.
 
En effet, sur le rapport d’expertise, la Haute juridiction estime que la chambre de l’instruction a justifié sa décision. Au regard des faits, « il ne résulte aucun lien entre les experts et les parties à la procédure, ni aucun conflit d’intérêt, de nature à priver le rapport des premiers du caractère d’avis technique soumis à la contradiction et à l’appréciation ultérieure des juges » soutient la cour.
 
S’agissant de l’amende, la Cour de cassation rappelle au visa des articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du Code pénal, 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale, qu’en matière correctionnelle, « le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ». La motivation devant apparaître dans la décision, « L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ».
 
Ainsi la cour d’appel qui a décidé d’une peine d’amende à l’encontre de l’expert-comptable, sans antécédent judiciaire, en estimant que « son action a été essentielle dans le schéma frauduleux » mais qui n’a pas précisé « les ressources et les charges du prévenu qu’elle a prises en compte » n’a pas justifié sa décision.
 
Sur les constitutions de partie civile, la Haute juridiction s'interroge sur le fait de savoir si le mandataire ad hoc de sociétés placées en liquidation judiciaire peut se constituer partie civile. La réponse est non, l’arrêt de la cour d’appel est censuré au visa de l’article L. 641-9, I, du Code de commerce.
 
Ce texte prévoit que « le débiteur ne peut se constituer partie civile que dans le but de déclencher ou de soutenir l’action publique, le liquidateur disposant seul de la faculté d’exercer l’action civile afin d’assurer la défense des intérêts patrimoniaux de ce dernier ». Principe applicable lorsque sont en cause les intérêts civils et lorsque la constitution de partie civile est associée à l’action publique.
 
« Il s’en déduit que ni le représentant statutaire de la personne morale mise en liquidation judiciaire, ni son mandataire, désigné en lieu et place des dirigeants sociaux, n’est recevable à solliciter la réparation du préjudice subi par le débiteur » souligne la Cour. Ainsi, les juges du second degré qui reçoivent les constitutions de parties civiles d’un mandataire ad hoc des sociétés placées en liquidation judiciaire en énonçant que leur préjudice « est en lien direct avec les faits reprochés au prévenu » n’ont pas respecté le texte susvisé.
 
À noter qu’en 2016, la Cour de cassation avait déjà décidé que le débiteur en liquidation judiciaire ne peut se constituer partie civile que dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur du crime ou du délit dont il serait victime, ses droits et actions de nature patrimoniale étant exercés, pendant toute la durée de la liquidation judiciaire, par le liquidateur; par conséquent, le pourvoi formé, sans le concours du liquidateur, par la partie civile placée en liquidation judiciaire lorsque ne sont plus en cause que les intérêts civils, est irrecevable (Cass. crim., 9 mars 2016, n°14-86.631). 
 
La cassation est donc limitée aux peines prononcées à l’encontre de l’expert-comptable et aux dispositions l’ayant condamné à payer une somme à deux sociétés en réparation de leur préjudice.
Source : Actualités du droit